Voici un ouvrage de référence qui passionnera ceux qu’intéressent la sociologie du sport et les récits sportifs. Alliant avec finesse et clarté la sociologie, l’ethnographie et la nouvelle littéraire, Loïc Wacquant nous raconte son voyage initiatique dans le monde de la boxe professionnelle aux Etats-Unis de 1988 à 1992. Les notes consignées au jour le jour après chaque séance d’entraînement dans le « gym » (salle de boxe) d’un quartier du ghetto noir de Chicago, les observations et photos réalisées lors de matchs ainsi que les enregistrements d’histoires de vie ont fourni les données empiriques à la base de cette « nouvelle sociologique ».
Sa participation « observante » à l’objet d’étude ainsi que l’amitié accordée par les boxeurs noirs du gym lui ont permis d’assimiler totalement les catégories du jugement pugilistique et de décrire les comportements du boxeur dans son « habitat naturel ». Rompant avec le discours moralisateur produit par le regard lointain d’un observateur placé en surplomb de l’univers étudié, ce livre montre comment le boxeur « fait sens dès lors qu’on prend la peine de s’en approcher d’assez près pour le saisir avec son corps, en situation quasi expérimentale ».
Construit autour de trois textes rédigés à différents moments de « l’histoire pugilistique » de l’auteur, l’ouvrage nous décrit non seulement l’univers de la boxe professionnelle américaine mais aussi les relations sociales internes au gym, l’ethos et l’habitus pugilistiques et les aspirations des boxeurs noirs issus du ghetto de Chicago. Comme le dit si bien L. Wacquant, le gym est « cette forge où se façonne le pugiliste, l’atelier où s’usine ce corps-âme et armure qu’il s’apprête à lancer dans l’affrontement sur le ring, le fourneau où s’entretiennent la flamme du désir pugilistique et la croyance collective dans le bien-fondé des valeurs indigènes ». Pour l’auteur, le boxeur est bien un « engrenage vivant du corps et de l’esprit » qui fait fi de la frontière entre raison et passion. Mais en même temps, l’univers clos de la boxe ne peut se comprendre en dehors de son environnement qui lui donne sens : le gym est un sanctuaire qui protège de l’insécurité du ghetto, qui régule la violence et où l’on peut se soustraire aux misères ordinaires d’une existence trop ordinaire.